Génocide Arménien : "Les arrière-pensées électoralistes éclatent au grand jour !"

«Électoraliste». Le qualificatif revient souvent pour désigner la loi pénalisant la négation du génocide arménien, votée lundi soir au Sénat. Qu'ils soient écologistes, comme la sénatrice Esther Benbassa, socialistes, comme Bertrand Delanoë, centristes, comme François Bayrou, ou soutiens de Nicolas Sarkozy, comme l'ex-ministre des Affaires étrangères Hervé de Charette, ils s'interrogent sur la portée d'un texte voté à seulement trois mois du premier tour de la présidentielle.

[AU SÉNAT] : extrait de la séance du 23 Janier 2012

Mme Isabelle Pasquet : Le soupçon d'électoralisme est patent.

Nous sommes nombreux ici à avoir compris que sur cette question particulière, comme sur d'autres sujets – l'adoption jeudi dernier d'une proposition de loi concernant les harkis étant le dernier exemple en date –, le Président de la République tente d'amadouer telle ou telle catégorie de la population pour obtenir une majorité à l'élection présidentielle.

Après les harkis, bien utiles pour récupérer des voix, ce sont maintenant nos 500 000 compatriotes d'origine arménienne qui sont à leur tour utilisés.

Je dis cela sans détour, car les déclarations du Président de la République et l'attitude de nos collègues de la majorité présidentielle, qui sont insidieusement électoralistes, prêtent le flanc à de telles critiques.

Certes, Nicolas Sarkozy avait promis de légiférer sur cette question lors de son voyage en Arménie l'an dernier. Toutefois, quelles raisons peuvent bien expliquer que, alors qu'il était hier agacé par les demandes de repentance concernant les actes de notre pays, il soit aujourd'hui si prompt à adresser une telle demande à un État souverain ?

Une telle précipitation, sur un sujet aussi délicat, aussi douloureux, aussi complexe, est suspecte à l'approche de l'élection présidentielle.

[ ... ]L'attitude de nos collègues de la majorité présidentielle ajoute aux doutes que l'on peut avoir sur la sincérité de la démarche. En effet, alors qu'une proposition de loi traitant de la même question était venue ici même en discussion en mai 2011, vous aviez utilisé pour la repousser, chers collègues de l'opposition sénatoriale, des arguments totalement contraires à ceux que vous avancez aujourd'hui. Pour justifier ce retournement acrobatique, le président du groupe de l'UMP n'a aucunement hésité à avouer qu'il s'agissait de ne pas gêner le Président de la République. Tout est dit ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Les arrière-pensées électoralistes éclatent au grand jour !



M. Jean-Claude Gaudin : Je devrais être fusillé pour cela !

M. Jean-Louis Carrère : Au minimum ! (Sourires.)

[ ... ]

M. Jacques Mézard : Pourquoi, alors, n'avez-vous rien fait depuis le 29 janvier 2001 ? Pourquoi, au cours des onze années écoulées, n'avez-vous pas inscrit un tel texte à l'ordre du jour du Parlement ? (M. Roger Karoutchi s'exclame.)

M. Jean-Louis Carrère : Parce que Sarkozy n'était pas candidat !

M. Jacques Mézard : Alors que vous n'avez rien fait en onze ans, vous êtes soudainement pris d'une frénésie législative, qui ne s'explique, nous le savons tous, que par la proximité de certaines échéances électorales. (MM. Jean-Louis Carrère, Philippe Madrelle et Jean-Claude Peyronnet applaudissent.) Et le reste est littérature, monsieur le ministre !

Comme je l'ai déjà dit tout à l'heure, si le Gouvernement s'abrite derrière une proposition de loi, c'est parce qu'il n'a pas le courage politique de porter un projet de loi. Voilà la vérité !

[ ... ]

Mme Catherine Tasca : Je ne doute pas que la question de la constitutionnalité de ce texte sera tôt ou tard tranchée par le juge constitutionnel. Cependant, il nous faut dénoncer dès aujourd'hui l'opportunisme et la manipulation politique opérée par le Président de la République qui, avec ce texte, espère faire coup double à quelques mois de l'élection présidentielle. D'une part, il croit s'acquérir ainsi les voix des Arméniens de France ; je veux croire que ceux-ci sont maîtres de leur vote et se détermineront en fonction de leurs convictions. D'autre part, il trouve de nouveau arguments pour faire barrage à la candidature de la Turquie à l'Union européenne, dont il a fait depuis longtemps son cheval de bataille, sur fond d'hostilité déclarée au monde musulman. Qui plus est, il tente de maquiller le but de cette proposition de loi en prétendant qu'elle ne vise pas un peuple ou un État en particulier. Or nous savons bien qu'il s'agit du génocide arménien et de la Turquie.

Mes chers collègues, ne laissons pas Nicolas Sarkozy instrumentaliser ainsi le Parlement !

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